Tribune du Monde - 20 avril 2020
S’il est légitime de s’interroger sur la relation entre la promiscuité dans laquelle vivent les citadins et les risques naturels auxquels ils sont exposés, il ne faut pas que la biodiversité sauvage urbaine devienne le bouc émissaire de toutes les catastrophes écologiques à venir. Amalgamer déforestations tropicales, interactions entre des êtres humains et non humains et développement de nature dans les villes en une fallacieuse cause d’épizooties est un raccourci absurde, voire tendancieux. Il est surprenant de voir certains s’y laisser prendre et ainsi ramer à contresens des consensus scientifiques reconnus, comme l’ont fait Jean-Christophe Fromantin et Didier Sicard dans une tribune publiée le 8 avril sur le site du Monde (Coronavirus : « Les nouvelles configurations urbaines portent en germe des déflagrations écologiques à haut potentiel de viralité »).
Les premiers signataires : les membres de l’équipe URBA (Ecologie, aménagement et biodiversité en milieu urbain) du Centre d’écologie et des sciences de la conservation du Muséum national d’histoire naturelle Yves Bertheau, directeur de recherche ; Eduardo Blanco, doctorant ; Sabine Bognon, maîtresse de conférences ; Aline Brachet, doctorante ; liquantPhilippe Clergeau, professeur ; Delphine Lewandowski, doctorante ; Tanguy Louis-Lucas, doctorant ; Nathalie Machon, professeure ; Frédéric Madre, chercheur associé ; Flavie Mayrand, chercheure contractuelle ; Laurent Palka, maître de conférences ; Chloé Thierry, doctorante ; Laura Thuillier, doctorante
Amnésie environnementale
Jusqu’à récemment, peu de cas était fait de la nature dans la cité. Elle devait rester à sa porte, dans un souci romain de préservation urbi et orbi. La ville était bâtie pour les humains et les quelques espèces horticoles ou domestiques qui les accompagnaient. Si ce postulat peut être encore parfois partagé, c’est par totale ignorance ou rejet idéologique des bienfaits que la biodiversité urbaine confère aux citadins. La validité de ce raisonnement passéiste est chaque jour battue en brèche par les résultats de la recherche.
L’urbanisme hygiéniste hérité du XIXe siècle prône la séparation stricte entre systèmes vivants et systèmes sociaux. Depuis, cette aseptisation de la ville a progressivement rendu rares les contacts entre humains et non humains, et a conduit à une amnésie environnementale et un désintérêt voire un mépris pour la préservation de la nature de la part de beaucoup de citadins.
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Mais c’est bien l’érosion mondiale de la biodiversité et la disparition de nombreux habitats naturels, sous l’effet de l’artificialisation massive des sols et leur imperméabilisation, la surexploitation des écosystèmes, l’émission croissante de polluants et gaz à effet de serre, et les manifestations du changement climatique qui en découle, qui demeurent les principales causes des risques meurtriers, chroniques et croissants que sont canicules, inondations ou encore pollutions atmosphériques.
Paradoxalement, en ville aussi, la biodiversité s’avère indispensable à nos sociétés. La nature insérée dans le milieu urbain est source de bénéfices en termes de santé psychologique et physique pour les citadins. Les villes les plus minérales font le lit de nombreuses maladies allergies, anxiétés, affections respiratoires et cardiovasculaires…
Epuration et régulation
Jusqu’à récemment, peu de cas était fait de la nature dans la cité. Elle devait rester à sa porte, dans un souci romain de préservation urbi et orbi. La ville était bâtie pour les humains et les quelques espèces horticoles ou domestiques qui les accompagnaient. Si ce postulat peut être encore parfois partagé, c’est par totale ignorance ou rejet idéologique des bienfaits que la biodiversité urbaine confère aux citadins. La validité de ce raisonnement passéiste est chaque jour battue en brèche par les résultats de la recherche.
Or, les plantes participent à l’épuration de l’air, de l’eau et du sol. Les arbres, notamment, fixent d’importantes quantités de polluants atmosphériques. Ils jouent un rôle non négligeable dans le cycle du carbone et réduisent les îlots de chaleur urbains, abaissant de plusieurs degrés lors des fortes canicules la température de quartiers entiers.Les écosystèmes urbains fonctionnels, riches en espèces animales et végétales spontanées, permettent la régulation d’espèces qui auraient sinon tendance à proliférer dans nos milieux grandement artificialisés.
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L’agriculture urbaine se renouvelle dans nos villes. Ce contact avec le vivant non humain, qu’il vise à une autoconsommation ou à des moments et des lieux de convivialité, est à la base du retour des potagers urbains et jardins partagés. Or, la production de fruits, de légumes, d’aromates, de fleurs nécessite des sols et de l’eau de qualité autant que des insectes pollinisateurs ou des régulateurs des espèces défavorables aux cultures. Ces conditions ne peuvent être remplies sans trop de complications techniques qu’avec l’aide d’une nature urbaine riche et de politiques publiques soucieuses de maintenir ou d’accroître la qualité environnementale des villes.
Au-delà de ses propriétés régulatrices, la biodiversité urbaine se pare également de vertus culturelles et pédagogiques. Elle fournit l’opportunité de sensibiliser un large public, à commencer par les enfants, aux problématiques environnementales. Une large part des citadins n’a que très peu de contact avec la nature. La consommation ou l’envie d’espèces exotiques chez les urbains, qui aboutit à des comportements absurdes et risqués d’un point de vue sanitaire et écologique, serait plutôt la résultante de cette déconnexion à la nature.
Moyen et objectif
Les initiatives associatives qui promeuvent et familiarisent avec la nature urbaine (fêtes de la nature, des jardins ou de la biodiversité) ou les programmes de sciences participatives (sauvage de ma rue, lichen go, biodiversité des jardins… voir le site de Vigie-nature) leur font percevoir, surtout dans les quartiers les plus densément peuplés, l’intérêt de préserver des espaces de nature.
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Les territoires urbains, installés initialement dans les zones agricoles les plus fertiles, s’étendent sans cesse aux dépens de zones parfois riches en faune et flore. Outre les arguments utilitaires, préserver la biodiversité en ville c’est également prendre part à la conservation des espèces.
La destruction massive de la vie sauvage menace l’environnement autant que les sociétés. Le fait que la biodiversité urbaine ait ainsi des propriétés réellement bénéfiques souligne combien il vaudrait mieux l’envisager comme moyen et objectif pour des villes plus vivables, plutôt que comme source de catastrophes sanitaires comme l’actuelle pandémie de Covid-19. Ainsi, parce que c’est impératif, il convient de mieux comprendre comment rendre les systèmes urbains capables d’intégrer une biodiversité originale et fonctionnelle. Se préoccuper collectivement de lui trouver sa place est sans doute constitutif de notre humanité. Seules des politiques urbaines ambitieuses aboutiront à la protéger efficacement en s’appuyant sur des acquis scientifiques solides issus d’une recherche de haut niveau. La biodiversité en ville n’est pas le problème mais une des solutions.